La symbolique de l’État-major

Au cours d'une journée un peu moins pluvieuse que les autres, le nouveau Président de la République s'est livré à sa première interview du 14 juillet, face à Claire Chazal (TF1) et Laurent Delahousse (France 2) . L'exercice avait été inauguré par son mentor en politique, François Mitterrand, prolongé sous Jacques Chirac et... supprimé par Nicolas Sarkozy. Sur ce point comme sur d'autres, François Hollande voulait sans doute souligner qu'il avait "rompu avec la rupture", si l'on peut dire. La campagne présidentielle ne s'est achevée que depuis deux mois, on craignait de la voir ressurgir en entretien. De quoi parle François Hollande, quand il ne critique pas le bilan de Nicolas Sarkozy ? Le début de l'interview laissait craindre qu'on n'était pas prêt de l'apprendre.


Laurent Delahousse débute en parlant du lieu choisi par le Président pour cette interview : l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde. Le lieu évoque un scandale, dont le Canard Enchaîné a fait un de ses plus beaux feuilletons des années Sarkozy. Dans le cadre du regroupement des forces armées au sein d'un "Pentagone à la Française", le précédent Président avait décidé de vendre l'imposante bâtisse 18ème à un groupe de luxe. Les choses avaient visiblement été précipitées, on soupçonnait le promoteur d'avoir été favorisé. Puis François Hollande a été élu. Il l'annonce dans l'entretien : l’Hôtel de l’Etat-Major de la Marine restera dans le giron de l’État. Pourquoi pas.

Quel autre sens y avait-il à situer là-bas l'interview ? Car il y en avait d'autres, bien sûr : sur ce point, les hésitations des premières minutes de ce dialogue à trois étaient révélatrices. Laurent Delahousse suggère une rupture avec la tradition des interviews à l’Élysée. Le chef de l’État ne dit pas non, plaisante un peu : j'ai été invité par vous deux, dit-il, je ne pouvait aller ni chez l'un ni chez l'autre, il fallait trouver un autre endroit. Petit tacle ensuite sur son prédécesseur lorsqu'il annonce sa décision de garder cet hôtel. N'annonce-t-il pas également en creux qu'il annule ce projet de Pentagone, qui selon le Canard devait être construit par Bouygues dans le quartier Balard ? C'est le sel de ces interviews présidentielles, où même lorsque le premier magistrat a décidé de mener une présidence normale, on éventre chaque mot pour lire l'augure dans ses entrailles...

La conversation se poursuit, et on ne sait toujours pas précisément pourquoi l'interview a lieu à l'hôtel de la Marine, mais on constate que cela modifie un peu l'image : derrière la tête du Président, les camions passent, loin derrière mais on les voit quand même. On n'est pas hors du temps, au Palais, la vie continue tout autour, on devine derrière lui la petite autoroute en bord de Seine de la rue de Rivoli. Mais il ne s'agit pas de rêver, il se dit des choses graves. On parle d'Aulnay, du plan social chez PSA. On lui renvoie la phrase de Lionel Jospin face au plan social de Michelin, "l’État ne peut pas tout faire". La réponse fuse "l’État ne laissera pas faire". Finement préparé : les deux phrases se ressemblent, l'une annule l'autre. Depuis douze ans, la phrase de Jospin était devenu le stigmate de la gauche. En l'annulant, François Hollande s'affirme face à son frère ainé en politique, et affirme son refus d'être réduit à l'échec de la gauche plurielle.

Soudain, on croit comprendre la symbolique de l’État-major. François Hollande est notre amiral, et nous sommes sur le pont. Ca se précise. L'orage gronde,  les paquets d'eau s'engouffrent dans les écoutilles : "il manque 33 milliards au budget 2013, il y a un effort à faire, les Français le comprennent". Hardi, moussaillon ! Il faut financer la protection sociale sans léser notre compétitivité ! La métaphore est transparente lorsque, à la fin de l'interview, le Président compare deux types de jeunes : les joueurs de l’Équipe de France, qui auraient agi avec légèreté vis-à-vis du comportement que la nation attendait d'eux, et les militaires du même âge qui ont défilé le matin même. L'exemple est donné, le redressement de la nation est un combat.


Ceux qui craignaient une intervention antisarkozyste auront donc été relativement épargnés. Pour autant, le rapprochement avec Sarkozy reste pertinent pour comprendre le message que nous a adressé le Président de la République à travers cette interview - qui porte sa marque, même si elle ne s'est pas déroulée dans son Palais. Face au général-Président napoléonien que fut Nicolas Sarkozy, François Hollande préfère le contrôle au prestige. Regardez comme il s'efface ! Pas d'annonce, sauf pour annoncer que les partenaires sociaux, que le Premier Ministre annonceront quelque chose très bientôt. Pas de dépense ostentatoire, pas de statut pour sa première dame, François Hollande s'annonce discret. Il pèsera le poids d'une plume sur les comptes de l'Etat : le régime qu'il s'est appliqué durant la campagne, voilà qu'il l'applique à son traitement, à son train de vie. Va-t-il mincir au point de disparaître ? De la scène publique, sans doute, certainement pas des coulisses du pouvoir. Car il l'a rappelé au début de son interview : "l'Elysée, je l'ai voulu". Reste la manière de l'habiter. Sûrement pas comme son prédécesseur, le Général flamboyant. D'ailleurs, n'est-ce pas cette flamboyance qui l'a perdu ? Peut-être. Le choix de Hollande est fait. Il incarnera le personnage le plus haut de la hiérarchie militaire, celui qu'on choisit pour sa légèreté dans le geste, sa capacité à faire travailler ensemble tous les généraux galonnés au service d'un même choix politique: le chef d’État-major.

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