Un Gonzo chez M.Hollande


Une bonne nouvelle ce matin dans l'Obs, un long entretien entre Grégoire Leménager et l'écrivain Laurent Binet, qui a passé un an à suivre la campagne de François Hollande.


Le livre ne sort que le 22, mais on peut dire à l'avance que chacun y trouvera son compte : un long récit de campagne, c'est pain bénit pour les amateurs de petits faits qui croustillent. Les acheteurs du livre en Kindle pourront faire directement une recherche avec le mot clé "Trierweiler", comme ça c'est plus simple ! Autre public : les universitaires, qui pourront y glaner des fragments d'ethnographie sauvage, tandis que même les moins mordus de politique prendront plaisir à chercher dans ce récit écrit quasiment au jour le jour les signes d'une victoire annoncée, un peu comme on prend plaisir à regarder un Colombo dont on connait l'assassin dès le début.

L'exercice du "carnet de campagne" fait livre est loin d'être nouveau, les journalistes politiques en publient après chaque scrutin. Cette année a même fait semble-t-il un record, avec une "pluie de quick books" très vite ficelés et lancés sur le marché le lendemain de l'élection. Ce qui est nouveau, en France, c'est de faire suivre la campagne par un écrivain. Eh oui, Laurent Binet a commencé dans le récit onirique, avant un passage par l'autobiographie, avec sa Vie professionnelle de Laurent B. parue en 2004 aux éditions Little Big Man, récit vaguement désabusé d'agrégé de lettre débarqué en ZEP. Dans un sens, son livre fait écho au travail de Yasmina Reza : son roman L'Aube le soir ou la nuit paru en 2007 décrivait les étapes de la campagne victorieuse de Sarkozy.



Passionnante démarche, celle de ces écrivains qui s'immergent dans le grand barnum des campagnes présidentielles. On aimerait en lire plus, même si on se doute un peu (Laurent Binet y fait allusion dans son livre, de façon subliminale) que les éditeurs ont une préférence pour les histoires de vainqueurs. Peut-être y avait-il un écrivain embarqué en 2007 dans l'équipe Royal, et si c'est le cas il s'est fait très discret.

Petit agacement, enfin, quand tout le monde a l'air d'oublier que ce genre n'est pas né en France, en 2007... mais à Washington, USA, sous la plume du génial et déjanté Hunter S. Thompson. En France, on le connaît surtout pour avoir écrit l'intrigue de Las Vegas Parano. Thompson est journaliste de métier, collaborateur à Rolling Stone. Il a comme maître Hemingway, Steinbeck et les autres. Son style subjectif, logorrhéique, décalé a contribué à l'essor du New Journalism (ou "Gonzo Journalism") qui, jusqu'à aujourd'hui, fait une féroce concurrence au journalisme de faits neutres et validés. C'est du journalisme d'écrivain, plongé dans le chaudron d'une campagne électorale. 

L'immense avantage de l'écrivain en campagne, c'est qu'il a un peu de recul, par rapport aux journalistes qu'ils côtoient et qui doivent rendre chaque jour une petite histoire. Surtout, contrairement aux Depardon et autres Moati dont les caméras enregistrent la campagne sans pouvoir s'y fondre, le journaliste passe inaperçu, et recueille donc ce qui lui chante, en toute indiscrétion.

Revanche de l'écrit, sur une époque dévolue à l'image ?

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L'objet regard

Une fachosphère qui roule

Volupté des discours d'extrême-droite