Pauvre guerre des images

Depuis le 11 janvier dernier, la France est en guerre au Mali. Une guerre lointaine, menée par notre armée de métier... et les professionnels de la communication qui l'entourent.

A ceux de mes lecteurs qui regardent les journaux télévisés. Oui, vous, là. N''ayez pas honte, relevez la tête. Et dites-moi : y avez-vous vu, depuis le début des conflits, la moindre image de gens en train de... se battre ? Non, hein ? Rien de tel, juste quelques images très abstraites et décalés. des soldats français qui patrouillent... sur les Champs-Élysées, en mode Vigipirate. Des Rafales ravitaillés en plein vol. Tout cela a bien sûr à voir avec ce qui se passe au Mali - les avions partent pour des missions lointaines, le plan Vigipirate a été relevé à "rouge renforcé" (?). Mais force nous est de constater que les images se contentent de figurer cette guerre, sans la montrer. Des images qui figurent avant tout la dimension rassurante, positive de cette guerre : la France dispose d'une armée aux équipements performants, aptes à mener à bien des opérations délicates (le ravitaillement en vol). Nos soldats sont avant tout des soldats de la paix, de la protection des libertés civiles (Vigipirate). Les vidéos postées sur le fil Tweeter du ministère de la défense délivrent le même message : logistique, paquetage, départ coordonné vers une guerre lointaine. Dont ne filtre aucune image. Le sable du Sahara aurait-il endommagé les lentilles des caméras du service Communication des armées ?


Posez les caméras, verrouillez les discours. Les responsables politiques, Président en tête, se contentent au sujet de cette guerre de renvoyer aux mêmes mots, aux mêmes éléments de rhétorique martiale. La France est au Mali pour "chasser" les "terroristes djihadistes", rompez les rangs. François Hollande, Laurent Fabius, Jean-Yves Le Drian limitent ainsi autant que possible le risque de polémique. Même le mot "islamiste" a disparu, remplacé aussi sec par "djihadiste" ! Pas question de gâcher l'ambiance, dans un contexte sondagier si délicieux : selon BVA, les trois quart des français approuvent l'intervention !

 On assiste donc à un face-à-face troublant. D'un côté, un staff de communication qui fait un remarquable travail de rétention d'information, c'est à dire qui s'arrange pour donner l'impression de montrer des images, de parler de la situation, tout en ne montrant et en ne disant... rien. De l'autre, des Français globalement enthousiastes, au sujet d'une guerre dont nous ne savons rien ou presque, sinon qu'on y tue des gens qui tuent et violent, eux-même, au nom de valeurs absolument opposées aux nôtres. Ce qui, tout bien pesé, ne fait pas bien lourd en matière de renseignements... Surtout lorsqu'on tient compte du fait que cette région du Sahel est le siège d'une guérilla très compliquée où interviennent al-Qaida au Maghreb islamique, le Mujao (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest) et Ansar Dine, sans compter les divers groupes Touaregs qui peuvent être amenés à faire alliance avec les uns et les autres en fonction des circonstances et compte tenu de leur haine commune contre le Mali. 

J'ai le souvenir d'avoir interviewé dans un lointain passé de pigiste musique le groupe Tinariwen, ex-rebelles touaregs du Nord Malien. Allez, c'est l'heure de la pause musicale :



 
Et la guerre alors ? Eh bien on a compris, rien ne filtre hors du barrage de slogans simplistes et de vidéoclips à la gloire de nos armées. On attend donc les témoignages confidentiels, les récits contradictoires, les photos volées, les journalistes un peu imprudents qui nous permettront d'en apprendre un peu plus. Peut-être, malheureusement, bien plus tard.

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