Manuel Valls, libre blogueur !

Aujourd'hui, un fait curieux vient de se produire sur Internet : le premier ministre français Manuel Valls a fait paraître aujourd'hui 16h un article dans le Huffington Post français


L'article répond  à une parution du New York Times  il y a trois jours qui avait fait grand bruit sur Internet : le New York Times avait en effet  publié en français  un certain nombre de témoignages  de musulmanes, francophone pour la plupart,  qui se plaignaient du très mauvais climat qui selon elle règne à leur encontre en Europe. Le billet de Manuel Valls répond à la journaliste qui, il faut bien le dire, avait sans doute sélectionné les plaintes  les plus amères qu'elle avait pu trouver sur la question.







Qu’un premier ministre prennent la plume pour répondre à une journaliste étrangère, ce n'est déjà pas très courant. Mais passons. C'est la question du support et du statut de l'article  qui m'intéresse ici. Manuel Valls qui publie dans le Huffington Post, ce n'est pas très courant. C'est son second billet. Le précédent date de novembre 2015. 



Pour avoir fait ma thèse en partie sur les tribunes de journaux français dans lesquelles interviennent régulièrement les politiques, je peux d'ores et déjà dire que niveau support d'expression, Manuel Valls fait un choix plutôt low-cost en comparaison de ses prédécesseurs. 

Le Huffington Post est un pure player, c'est-à-dire un journal publié exclusivement sur Internet. La prose de Manuel Valls n'existera pas sur papier. Elle apparaîtra au rayon « blog », avec ce sous-titre : « Des points de vue et des analyses approfondis de l'actualité grâce aux contributeurs du Huffington Post ». 


Manuel Valls, contributeur du Huffington Post. Comme Angelina Rochetta, Jérôme Chasques, Olivier d'Auzon, Alexandre Michel, Brigitte Adès et leurs 19,000 collègues à la notoriété toute relative.





Pourquoi ne pas ouvrir un blog dans le Huffington Post quand on est premier ministre ?


Peut-être parce que la baisse de standing se paye aussi sur l’esthétique. Sur l'écran d'un PC, l'article de Manuel Valls occupe les deux tiers de l'écran ; le tiers restant est rempli de petites vignettes qui renvoient vers des articles sur le sein de Daphné Bürki, le mannequin très peu vêtu sur le tapis rouge du Festival de Cannes, le bébé qui rigole, la femme qui se retrouve au milieu des araignées et le postérieur de Zahia. 

Serait-ce une pulsion démocratique qui l’a amené à juger que sa parole ne serait jamais aussi bien que là, entre les araignées, les bébés qui rigolent et le postérieur en string ? 


Ou bien est-ce plutôt l'absurdité de ce billet qui lui vaut d'échouer sur ce support sans qualité ?

Son billet accuse le New York Times d'avoir écrit son article en promenant son micro lors d'un rassemblement de militants gauchistes.



En quelques secondes de recherche sur Internet, on trouve l’appel à contribution du New York Times à laquelle ces musulmanes ont répondu



Non seulement il n'y est pas question du groupuscule dont parle Valls, mais  il n’est surtout même pas particulièrement question de la France. C'est un appel à contribution classique, comme désormais les journalistes de tous les grands journaux du monde en font passer, pour profiter de la facilité que permet Internet pour faire remonter les témoignages du terrain. La plupart des jeunes femmes qui témoignent sont françaises, mais il y a plusieurs belges, une londonienne et une néerlandaise.


Le Premier ministre de la France consacre un billet de blog à accuser un groupuscule français d'avoir fait publier une enquête à charge dans le New York Times. Tout va bien.

L'intervention de Manuel Valls a quelque-chose d'irresponsable. D’abord, parce que lorsqu'on est en responsabilité comme lui, il me semble qu'il y a un devoir à pas se rendre trop facile à contredire. D'autre part le choix de faire de la publicité au groupuscule militant qu'il pointe abusivement et sans la moindre preuve comme la source des témoignages du New York Times revient à se rapetisser lui-même.


Pour revenir encore une fois à quelque chose que je connais un peu pour avoir travaillé dessus en thèse - les débats politiques dans les médias - le choix de se consacrer publiquement à un adversaire revient à dire que l'on se reconnaît en quelque sorte en lui. Que l'on n'est à peu près du même niveau. 


Ce qui me choque pas trop lorsque l'on évoque l'image de la France véhiculée par le reportage d'une journaliste Senior du New York Times. 


Mais nettement plus lorsque l'on emploie sa parole légitimé par les institutions républicaines à ferrailler avec un groupuscule. 

Manuel Valls nous avait déjà fait le coup avec l'interdiction des spectacles de Dieudonné M'Bala M'Bala. C'est cohérent avec son projet de longue date d'installer la question de l’identité à l'agenda du débat politique français... On est invité à « délirer sur les races », comme disait Deleuze

Ce choix d’un politique de premier plan d'utiliser le Huffington Post comme une tribune libre, où il est visiblement possible de tordre les faits à volonté, ouvre une perspective inquiétante sur les moyens que l'on savait déjà assez réduit des journalistes français à cadrer le débat public en période présidentielle

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