L'amour du Père Macron

Cette année le 14 juillet tombe à la mi-octobre. À la fin d'un weekend quasiment estival, le moment médiatique tant attendu est arrivé. Le président a parlé en direct aux français sur TF1 devant trois vedettes de TF1 et LCI, David Pujadas, Anne-Claire Coudray et Gilles Bouleau, à l’heure de grande écoute, le dimanche 14 octobre au soir.

Ce fut la parole d'un chef. Celui que les urnes ont choisi en mai dernier et qui entend bien, il l'a bien fait entendre en début d'interview, prendre tout le pouvoir donc il dispose. Et sans être d'accord avec tout ce qu'il propose, on est forcé d'admettre que oui, si l’on prend la cinquième République pour l’institution monarchique qu'elle est effectivement, alors Emmanuel Macron est bien censé se comporter comme cela. L’homme qui entra en politique sous le parrainage de François Hollande ne se comportera pas comme lui ; il ne sera pas le bon copain, modeste et normal, qui laissait vacant le trône du chef.


L’interview débuta sur cette posture de chef, marquée notamment par le fait qu’il agissait vite et parlait peu. Sa rareté médiatique, son choix des ordonnances ? C’est le jeu des institutions, a-t-il répondu, dévoilant ainsi une filiation gaulliste qu’on lui connaissait mal ; filiation rehaussée à l’image par les caméras qui montraient la scène de l’interview de derrière une pile de livres… dont un volume de Malraux, pour lequel beaucoup ont dû plisser les yeux pour deviner le titre ! Surprenant, dans le cadre d’une interview qui n’a pas abordé une seule fois les difficultés de la filière de l’édition. L’avenir du livre serait-il d’être un ornement de mise en scène ?

Mais passons, car les journalistes reviennent à la charge sur cette trop forte emprise du président sur la vie du pays, et son approche tranchante de la fonction : les ordonnances, eh bien… ça ordonne, du point de vue de la procédure démocratique, tout de même, ce n’est pas tout à fait l’idéal.



Ils ont bien fait de soulever ce point, même si l’ensemble sentait très fort le plan de communication-déminage, destiné justement à adoucir la dureté de l’image présidentielle.  On se doute qu’ils ne pouvaient guère aller plus loin. Auraient-ils pu rappeler au président, là, en face à face, qu'il n’avait été élu que d’une courte tête au premier tour ? Et que le “Tout sauf Le Pen” du second tour qui lui avait rendu le second tout assez douillet ne lui offrait pas tout à fait un blanc seing ? Pouvaient-ils ajouter que certes, l’Assemblée Nationale était à sa pleine main, mais que là encore l’abstention record du second tour des législatives n’en faisait pas un plébiscite à sa cause ?

Eh bien non. Les interviewers du président étaient invités à l’Elysée pour recueillir la parole présidentielle. Ce dispositif, rituel depuis René Coty, accentue si nécessaire le côté “obligé de l’Elysée” de tout journaliste intervieweur qui s’y prête. Alors ils lui ont offert ses propres mots en commentaire. Ceux qui ne sont pas d’accord avec ses réformes sur le code du travail, sont ils tous des “fainéants” ? Les manifestants, les grévistes, peut-on les appeler des “fouteurs de bordel” ? Et la rue, on l’écoute ou pas ? Autrement dit : que peuvent attendre celles et ceux qui, sans être d’accord avec lui, devront pourtant attendre cinq ans à voir passer les lois ?

La réponse n’a pas tardé, et elle semble avoir médusé l’assistance : à ceux qui ne partagent pas ses convictions, le président offrira la même chose qu’à ceux qui les partagent : son amour : « Ce qui m'a motivé à faire campagne et ma carrière en politique, c'est l'amour de mon pays. La perception de l'opinion publique m'importe peu. J'aime et estime l'ensemble de mes concitoyens ». Président de tous les Français, les critiques l’indiffèrent sauf si elles amèneraient l’un de ses concitoyens à ne pas se sentir représenté par lui. Approche phatique. Cela a été dit et répété, dans un silence de journalistes qui n’allaient pas commenter et encore moins questionner le sentiment présidentiel. Ce n’est pas leur métier, ils peuvent discuter et relayer les mesures annoncées, les louanges et les critiques. Mais l’amour présidentiel, c’est un peu trop.

D’ailleurs, on ne trouve presque pas de trace de ce passage dans les compte-rendus textuels du lendemain.

Peut-être les journalistes ont-ils senti que dans cette déclaration d’amour à la France, ils étaient de trop. Il y aurait pourtant eu des questions à poser, mais pas de celles qu’on pose en entretien à l’Elysée, plutôt de celles qui animent un cabinet de psychanalyste. Des questions du genre : cet amour que vous portez à la France, est-ce l’amour d’un jeune homme pour l’objet de son désir ? Celui d’un frère pour sa fratrie? Et je pense qu'il aurait répondu non aux deux.

Toutes les apparences donnent à penser que cet amour est celui qu’on attend d’un ou d’un mollah pour sa curie, celui qu’une troupe de soldats attend de son général, celui qu’un père porte à ses enfants. Cela permet de voir autrement le type d’autorité dont il faisait preuve envers les grévistes de GM&S à qui il reprochait de “foutre le bordel”. Non pas l’autorité d'un chef brutal, mais celui d'un père qui conduit sa voiture dans les embouteillages, et qui ordonne aux enfants à l’arrière d’arrêter de se chamailler.


Lorsque l’on a compris cette posture paternelle, on comprend mieux la manière dont il a opposé bons et mauvais grévistes. A GmS, il y avait de mauvais grévistes qui foutaient le “bordel” pour récupérer des indemnités supralégales. À Amiens, il a rencontré des chômeurs méritants, qui avaient besoin d’aide.

Emmanuel Macron ici n’invente rien, il applique sans peut être même le savoir le théorème de base de la psychologie des masses formalisé par Freud il y a un siècle dans son livre “psychologie de masse et analyse du moi” : les membres d’une masse d’individus ne peut y être pleinement heureux que si chacun d’entre eux se sait aimé par le chef d’un amour égal et sans réserve : “[pour que le collectif se maintienne, il faut que] règne la même illusion, celle de la présence, visible ou invisible, d'un chef (le Christ dans l'Église catholique, le commandant en chef dans l'Armée) qui aime d'un amour égal tous les membres de la collectivité”.

Finalement, ce que le politologue Gaël Brustier avait appelé sur France Culture le “populisme qui s’énerve de ce que tout le monde n’arrive pas à se mettre d’accord” prend sens, lorsqu’on comprend que c’est tout simplement un discours de père de famille.  


Quand on a compris cela, on saisit mieux l’importance que prit dans sa campagne électorale d’il y a six mois le terme «fraternité». On retrouvait ce terme dans le décorum de l’interview, dans une mise en scène à peine appuyée. Mais si, rappelez-vous, ce  tableau qu’on voyait au dessus du président, coupé en deux par le cadrage, qui ne montrait que sa moitié basse. Sur un fond bleu blanc rouge, il représentait une femme bouclée, entourée par les trois mots de la devise républicaine.

Le street-artist Obey, auteur de l’oeuvre, insistait sur “fraternité”, le troisième terme de la devise, qui occupait tout le bas du tableau. Finaude référence à l’importance que ce terme avait pris dans la campagne électorale d’Emmanuel Macron : à l’inverse de ses concurrents qui se réclamaient à droite surtout de la “liberté”, à gauche surtout de “l’égalité”, lui préférait le dernier terme, synthèse dialectique de la formule. Reste à comprendre qui est le frère de qui. Et là, on comprend vite que si nous, Français, sommes tous censés être frères dans une grande “cordée”, métaphore boy-scout dont le président a usé pour nous expliquer la différence entre riches et pauvres, Emmanuel Macron, lui, n’est pas notre “frère”, mais plutôt notre gentil papa.




Ce paternalisme new-look apparaîtrait gentillet, voire charmant pour un homme aussi jeune, s’il ne soulevait deux questions.

D’abord, il est difficile de contredire le père, qui sait quand même mieux que vous : et lorsque l’interview a roulé sur le respect dû aux Etats Unis de Donald Trump, garant de la paix mondiale (pour ne citer que ce seul sujet), on pouvait avoir envie de lui prendre le volant de la Twingo Familiale le temps qu’il se dégrise un peu.

Ensuite, si ce paternalisme à la française devait se prolonger au-delà du mandat d’Emmanuel Macron, on pourrait s’inquiéter du lien social que développent une société de “frères” et “soeurs”. Cet amour du chef pour l’ensemble de ses sujets est une illusion bien peu réalisable, qui vise dans les faits à alourdir d’affects les inégalités et injustices inévitables d’une grande société comme la nôtre. Avec les conséquences qu’on devine, lorsque l’affectif familial se mêle à la politique.

Abel et Caïn n’étaient pas des cousins.

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